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DE LADY AUDLEY

toujours, regarder dans les eaux fraîches de l’étang et compter les bulles produites à la surface de l’eau par les carpes et les gardons. Le calme semblait avoir choisi ce lieu pour asile, étendant sa main assoupissante sur les fleurs et les arbres, sur les eaux et les paisibles allées, sur les coins obscurs des vieux appartements à l’ancienne mode, les profondes embrasures ménagées derrière les vitraux peints, les prairies basses et les superbes avenues, — et même sur le puits à l’eau stagnante, frais et abrité selon l’usage d’autrefois et caché dans un bosquet derrière les jardins avec sa poulie paresseuse qui n’avait jamais tourné et sa corde pourrie qui avait laissé tomber dans l’eau le seau qu’elle ne pouvait plus retenir.

Au dedans comme au dehors, c’était une habitation magnifique, — une habitation dans laquelle on n’aurait pu se hasarder seul sans s’égarer ; une habitation où aucune pièce ne faisait suite à une autre, chacune débouchant dans une chambre adjacente qui aboutissait à une chambre au milieu de la maison, où un escalier étroit et contourné conduisait à une porte qui menait dans une partie du bâtiment dont on se croyait très-éloigné ; une habitation dont le plan n’avait jamais été tracé par la main d’un architecte, mais était l’œuvre de ce vieil et excellent constructeur, — le Temps, — qui, ajoutant une chambre aujourd’hui, en démolissant une demain, renversant une cheminée contemporaine des Plantagenets, en élevant une dans le style des Tudors ; ici jetant bas un pan de mur saxon ; là érigeant un arceau dans le style normand, perçant une rangée de hautes fenêtres du règne de la reine Anne, et construisant une salle à manger de la bonne époque de Georges Ier de Hanovre à la place du réfectoire qui existait depuis la conquête, avait fini, dans l’espace de onze siècles, par produire une demeure telle qu’il eût été impossible d’en trouver une pareille dans