Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t1.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
LE SECRET

tournai, harassé, découragé, auprès de ma bien-aimée, que je trouvai en train de nourrir un fils, héritier présomptif de la pauvreté de son père. Pauvre petite, elle était bien abattue, et lorsque je lui racontai l’insuccès de mon voyage à Londres, elle fut consternée et éclata en soupirs et en lamentations, me disant que je n’aurais pas dû l’épouser pour ne lui apporter que pauvreté et misère, et que je lui avais fait un tort cruel en la prenant pour femme. Par le ciel, miss Morley, ses pleurs et ses reprochés me rendirent presque fou ; j’entrai dans un accès de fureur contre elle, contre moi-même, contre son père, contre le monde et tous ses habitants, et je sortis de la maison en déclarant que je n’y rentrerais plus. Je marchai dans les rues, hors de moi, toute la journée, avec la ferme intention de me jeter à la mer, pour laisser ma pauvre femme libre de contracter un meilleur mariage. « Si je me noie, il faudra que son père ait soin d’elle, pensais-je ; ce vieil hypocrite ne pourra lui refuser un asile, mais, tant que je vis, elle n’a le droit de lui rien réclamer. » Je gagnai une ancienne jetée en bois avec l’intention d’y attendre la nuit, et alors de me laisser tomber doucement de son extrémité dans l’eau. Mais, pendant que j’étais assis en cet endroit, fumant ma pipe et regardant d’un œil indifférent la mer profonde, deux hommes survinrent, et l’un d’eux commença à parler des mines d’or d’Australie et de la grande fortune qu’on pouvait faire dans ce pays. Il me parut qu’il était sur le point de s’embarquer dans un ou deux jours, et qu’il essayait de persuader à son ami de l’accompagner dans son expédition. J’écoutai ces individus pendant plus d’une heure, les suivant de long en large sur la jetée et ne perdant pas un mot de leur dialogue. Après cela, je liai moi-même conversation avec eux, et j’appris qu’il y avait un vaisseau partant de Liverpool dans trois jours, sur lequel devait s’em-