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DE LADY AUDLEY

vent fait une question toute naturelle. Je demandais où était ma mère. Je me rappelais vaguement une figure dans le genre de la mienne aujourd’hui, qui me regardait, à l’époque où j’étais toute petite. Cette figure m’avait manqué tout à coup et je ne la revoyais plus. On me répondit qu’elle était partie. Je n’étais pas heureuse, car la femme qui me gardait chez elle était méchante, et l’endroit que nous habitions était un village solitaire sur la côte du Hampshire, à sept milles environ de Portsmouth. Mon père, qui était dans la marine, venait de temps en temps me voir, et j’étais entièrement sous la dépendance de cette femme qui, n’étant pas payée régulièrement, me faisait supporter sa mauvaise humeur quand mon père était en retard pour ses envois d’argent. Vous voyez donc que j’ai su de bonne heure ce que c’était que d’être pauvre. Peut-être était-ce parce que cette vie m’ennuyait, plutôt que par affection pour ma mère, que je demandais si souvent où elle était. Je recevais toujours la même réponse : « Elle est partie. » Si je voulais savoir pour quel endroit, on me disait que c’était un secret. Quand je fus assez âgée pour comprendre ce que signifiait le mot mort, je demandai si elle était morte. « Non, me dit-on, elle n’est pas morte, elle est malade, elle est partie ; » et lorsque je demandais si elle avait été longtemps malade, on me répondait qu’elle était malade depuis que j’étais venue au monde. À la longue, le secret me fut révélé. Je fatiguai celle qui me servait de mère de mes questions un jour où l’argent de ma pension n’arrivait pas, sa patience était à bout. Elle se mit en colère et m’avoua que ma mère était folle et enfermée dans une maison à quarante milles du village. À peine eut-elle fini, qu’elle se repentit d’avoir parlé et me dit qu’il ne fallait pas la croire, qu’elle n’avait pas dit la vérité. Je sus plus tard que mon père lui avait fait promettre de ne jamais m’avouer ce ter-