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LE SECRET

m’en tenir à ce sujet. Je me dis que j’avais donc le droit de le croire mort ou de supposer qu’il voulait se faire passer pour tel, et son ombre ne devait pas se dresser entre la prospérité et moi. Telles furent mes réflexions, et je devins votre femme, sir Michaël, avec la résolution d’être pour vous une aussi bonne femme qu’il était dans ma nature de l’être. Les tentations vulgaires qui viennent souvent assaillir et pousser au mal quelques-unes de mes pareilles, ne m’effrayaient nullement. J’eusse été fidèle et pure jusqu’à la fin de ma vie quand bien même une légion de tentateurs auraient juré ma perte. Cette folie que le monde appelle l’amour n’est jamais entrée pour rien dans ma folie à moi, et les deux extrêmes en se touchant ont du moins fait d’un vice une vertu. Le manque de cœur a garanti ma fidélité. Je fus charmée de mon premier triomphe et de la grandeur de ma position et très-reconnaissante envers celui qui m’y avait élevée. Le bonheur me fit sentir, pour la première fois de ma vie, un peu de compassion pour les souffrances des autres. J’avais été pauvre moi-même, et maintenant que j’étais riche, je pouvais secourir mes voisins indigents. Je pris plaisir à être bonne et généreuse. Je découvris l’adresse de mon père et je lui envoyai de fortes sommes sans déclarer mon nom, car je ne voulais pas qu’il sût ce que j’étais devenue. Je profitai sans scrupule des avantages que me procurait votre libéralité. Je prodiguai le bonheur partout. Je me vis aimée et admirée, et je crois que j’eusse continué à être bonne Jusqu’à la fin de mes jours, si le destin me l’avait permis. Je pense que durant cette période mon esprit retrouva son équilibre. Je m’étais observée avec soin depuis mon départ de Wildernsea. Je m’étais dominée autant qu’il m’avait été possible, et très-souvent je m’étais demandé, pendant que j’étais assise dans le petit salon paisible du docteur, si M. Dawson avait le