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Page:Braddon - Le Secret de lady Audley t2.djvu/53

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DE LADY AUDLEY

séparée de Wildernsea par une crique et reliée par un pont en fer. L’habit rouge de la sentinelle qui se promenait entre deux canons postés aux angles du mur était le seul objet de couleur qui relevât la teinte grise des maisons et de la mer.

D’un côté du port, une longue jetée s’avançait dans la mer. On l’aurait crue bâtie pour quelque Timon moderne, trop misanthrope pour se contenter de la solitude de Wildernsea et désireux de s’éloigner plus encore de ses semblables.

C’était sur cette jetée que George Talboys avait rencontré sa femme pour la première fois pendant que le soleil charmait la vue et que la musique du régiment déchirait les oreilles. C’était là que le jeune cornette s’était laissé aller pour la première fois à cette douce illusion qui avait exercé sur sa vie une si fatale influence.

Robert contempla d’un air hargneux la ville solitaire et le port en miniature.

« Et dire, pensa-t-il, qu’un pareil endroit suffit pour conduire un homme vigoureux à sa ruine ! Il vient ici le cœur vide et heureux, et sans plus d’expérience de la femme qu’on ne peut en acquérir à une exposition de fleurs ou dans un bal. Il ne la connaît pas plus que les satellites des planètes les plus reculées ; il sait vaguement que c’est un bouton qui tourbillonne en robe bleu ou violette et une poupée gracieuse bonne à faire ressortir le talent d’une couturière. Il arrive ici ou dans quelque autre endroit du même genre, et l’univers se rétrécit tout à coup ; l’immensité du monde se condense en une centaine de mètres, et toute la création se renferme dans une boîte de carton. Les femmes belles et jeunes qu’il a vaguement entrevues dans le délire de son imagination sont là sous ses yeux, et avant qu’il ait le temps de revenir de son égarement, le charme a commencé, le cercle magique est tracé