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les mémoires d’un soldat inconnu

Je ne peux pas retourner vers ce qui a été ma maison paternelle. Je ne veux plus retourner dans les tranchées. Me reste-t-il donc que les cimetières ? Ballotté, je vagabonde. Le destin s’amuse.

Un jet d’eau retombe gracieusement dans une large vasque que soutiennent des cupidons ventrus. Je m’approche et me penche sur le bassin, et, aussitôt, je me retourne, convaincu que quelqu’un derrière moi s’est miré à ma place dans cette eau tiède et limpide. Il n’y a personne, et je comprends que ce visage d’homme, dont je n’ai pas reconnu les traits, c’est moi. Je me penche de nouveau, très bas sur l’eau, et je me contemple longuement, douloureusement. C’est la première fois que je me vois. Avant, je n’en avais pas le courage, et, pour éviter tout miroir, je ne me rasais pas. J’avais laissé pousser ma barbe qu’à ma demande un infirmier a enlevée ce matin.

L’eau doucement ridée du bassin qui me renvoie mon image fait trembler