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les mémoires d’un soldat inconnu

Cet appel aux bas instincts obtient le résultat désiré. Je ne veux plus mourir quand il reste des chances de se vautrer : par la boue des tranchées on prend goût à la boue ; ça devient indispensable.

Nous rejoignons un détachement de recrues, silhouettes d’adolescents, dernière floraison des foyers que l’on envoie se courber sous la faux. Ça arrache les larmes.

— Chouette ! s’exclame soudain mon compagnon, un zoo ! Regarde à droite. Ce sont des prisonniers que l’on a massés là, en attendant de leur délivrer un passeport de camp de concentration.

Je vois d’autant mieux ces malheureux que la colonne que nous formons maintenant longe les mailles barbelées qui les retiennent captifs. Ils sont une centaine, debout ou couchés, la plupart squelettiques, hirsutes, la souffrance et les privations ciselées sur leurs traits livides. Aucune plainte dans leur bouche, aucun désir sur leurs lèvres trem-