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les mémoires d’un soldat inconnu

mence la lecture ? J’ai hâte de savoir si ça finit par un mariage.

La voix étrangement douce du poilu rompt le silence. Une pluie fine s’est mise à tomber et l’eau, qui suinte à travers la toiture de l’abri, dégoutte et accompagne la lecture d’un rythme monotone de métronome.

Le poilu tourne les feuillets. Il ne songe pas à allumer le brûlot éteint entre son pouce et l’index, ni à essuyer la sueur moite de son front. Son compagnon, une cigarette à demi consumée collée à la lèvre, écoute sans bouger. La lueur fuyante n’est plus dans ses yeux. Son regard fixe semble perdu dans un monde inconnu. La chandelle pleure son suif qui se fige en boyaux au col de la bouteille. Sa flamme vacille parfois au souffle du lecteur. La belle voix, presque chantante, du poilu, s’adapte si bien aux inflexions des mots, des phrases du carnet qu’il semble que c’est celui-là même qui les a écrits qui lit. Non, il n’est plus sur la civière l’auteur de ces lignes : il est là, visible dans le halo jaune de la chandelle, il se dresse et s’affaisse, supplie et menace, pleure et se révol-