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adolphe brassard

Et c’est l’été et ses ors ; les canons tonnent sans arrêt. Les obus peuvent maintenant dévaster les moissons nouvelles, ravager les blés qui maintiennent la vie.

***

Je suis de guet dans un bouquet d’arbres. Je veille sur mes camarades et leur sécurité dépend de ma vigilance. Un seul homme en protège des centaines, et cet homme, c’est moi. Je fais corps avec les broussailles. Je vois sans être vu. La nuit est douce. Les roulements du canon sont si bénins qu’ils peuvent être pris pour un peu de tonnerre de quelque orage invisible. La lune brille dans tout son éclat et inonde de blancheur l’espace à découvert devant moi. C’est une nuit d’une douceur de romance, et mon âme en est pénétrée. Je me laisse aller à une rêverie qui éloigne toute haine de mon cœur ; j’oublie l’ennemi et ses atrocités dont j’ai été témoin. J’oublie mes dix-huit mois