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les mémoires d’un soldat inconnu

calme. Seulement, il n’y a plus de douceur dans la nuit, et la clarté de la lune n’est plus argentée. Cet Allemand mortellement blessé et moi qui le guette, farouche, prêt à le percer de nouveau s’il bouge, c’est la guerre ! C’est toute la guerre et ses horreurs qui se concentrent ici. Ce n’est plus deux hommes en face l’un de l’autre, mais deux armées ; ce n’est plus quelques pieds de terrain mais un immense champ de bataille que la lumière emplit, non de romance, mais du reflet cru de l’acier des culasses. Le voile de langueur et de rêve qui m’enveloppait il y a un instant s’est volatilisé, et l’émotion ressentie par le réveil passager de ma sensibilité s’est envolée, laissant à nu la haine, la rancune et la vengeance que tous ces mois de carnage ont tassées dans mon être. C’est la voix implacable que je reprends :

— Tu ne m’as pas vu, dis-tu ? Pour un espion, c’est fameux. Venu pour nous épier et à ton retour avec tes semblables, hein ? Allonger en conséquence