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les mémoires d’un soldat inconnu

je dispose à mon gré. On meurt, mais tous ces morts qui me donnent le sens de la mort me donnent aussi le sens de la vie. La vie qui nous offre l’abondance de ses forces fécondes ; la vie qui attend de nous la continuation de la vie ; la vie qui veut que nous la transmettions, je la tiens. Et cette vie dont je déborde tout à coup, il ne faut pas qu’on me l’enlève.

— Fuyons, dis-je.

— Fuir, où ?

— Je connais des horizons paisibles où les maisons sont accueillantes, où les fruits mûrs s’offrent à la main, et où l’eau vive coule librement.

— Je ne vois que désolation, des maisons sans toit, des arbres sans fruits, et, dans les mousses roussies, des sources desséchées…

— Mais plus loin, au delà de cette étendue de soufre et de feu, c’est l’Éden et ses prairies verdoyantes, ses cours d’eau et son soleil, ses forêts et ses