Page:Bremer - La Vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 1.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
LA VIE DE FAMILLE

j’avais choisi pour mon voyage a refusé de me prendre à bord quand il a su le nom de la dame qui voulait faire route avec lui. Et lorsque Marcus a désiré en connaître le motif, le capitaine a répondu qu’il ne voulait pas avoir à bord une femme auteur, qui se moquerait de ses arrangements et pourrait le coucher dans son livre. Marcus se mit à rire, chercha à lui persuader de courir le risque de l’affaire, en l’assurant que je n’étais pas dangereuse ; mais cet homme a été inébranlable. Me voilà donc obligée d’attendre le bateau à vapeur, qui partira dans huit jours. Je suis redevable de ce contre-temps à madame Trollope et à Dickens. Mais je suis heureuse à Rose-Cottage avec mes excellents amis, et ce retard m’a procuré le plaisir d’assister à plusieurs leçons faites par Émerson ici et à New-York. Cette voix profonde et pleine produit une impression semblable à celle causée par la vue des perles et des diamants. C’est une fascination d’un genre tout particulier. Hier, j’ai entendu Émerson, dans une leçon sur « l’éloquence, » flageller sévèrement ses compatriotes à l’égard de l’exagération, de la boursouflure de leurs discours, comparées à la manière naturelle, poétiquement belle de l’Orient, qui agrandit les sentiments et les choses. Il a donné des échantillons de l’une et de l’autre manière, et l’auditoire, dans la meilleure intelligence avec le maître, a fait connaître vivement son approbation et le plaisir qu’il avait éprouvé.

Le 20 mars.

Nous avons eu plusieurs belles et paisibles soirées (je n’accepte pas d’invitations, ne reçois de visites que par exception, — il faut que je me repose), durant lesquelles, mes amis et moi, nous avons lu et causé ensemble. J’ai lu