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LA VIE DE FAMILLE

çant les plus farouches regards, un sourire était souvent appelé sur leurs lèvres par les injures spirituelles qu’ils s’adressaient au sujet de leurs bateaux, qui probablement ne les méritaient pas. Les gens dont ils étaient entourés riaient et ne s’inquiétaient pas le moins du monde de leur querelle. C’était une comédie ; seulement je m’étonnais qu’ils eussent le courage de la répéter si souvent. Downing avait déjà fait son choix.

Nous étions à bord depuis un moment, quand le capitaine fit offrir à mademoiselle B… et à ses amis le passage gratuit sur son bateau à vapeur et sur le chemin de fer de l’Hudson. Nous voguâmes donc aux frais de ma bonne renommé et de la politesse américaine ; l’air était calme et chaud comme en été. Mais le tuilier M. A…, qui s’était déclaré mon ami, qui m’avait apporté des fleurs et invité à venir à sa villa, qui avait découvert quelques bons districts phrénologiques sur mon front, s’empara de moi, me conduisit auprès de sa femme, laquelle me présenta un poëte dont elle prétendait que je devais connaître les vers. Le poëte me présenta trois femmes, ces trois femmes m’en présentèrent d’autres, ainsi que des hommes. J’étais pour ainsi dire épuisée, j’eus chaud comme dans un four et me sauvai du salon vers mon silencieux ami, sur le tillac, lui reprochant de m’avoir laissée devenir la proie des indigènes de la contrée. Du reste, mon ami le tuilier me plaît beaucoup, c’est une nature bienveillante, large, solide, avec un cœur ouvert et une physionomie franche. Le poëte me plut aussi, il était animé et bon enfant ; malheureusement je n’avais pas lu ses vers, et mes nouveaux amis étaient trop nombreux. Sur le pont, je pus enfin rester assise en silence à côté du silencieux Downing, en sachant toutefois que je m’entretenais intérieurement avec lui, que son re-