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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

chaque pierre, chaque motte de sable y est animée. Les magnifiques montagnes et collines de l’Hudson y auraient des noms, des légendes du même genre. Ici les traditions ne se rapportent qu’à l’histoire, surtout aux guerres contre les Indiens, et bien des noms ont une teinte d’ironie. C’est ainsi que l’on a donné à un rocher escarpé qui s’avance dans la rivière en forme de nez, le nom de «Nez-de-Saint-Antoine.» En passant devant lui, je me suis souvenue d’un petit poëme jovial que Downing m’a lu. Saint Antoine y est représenté prêchant les poissons. Ceux-ci accourent consternés et en même temps ravis, pour entendre le zélé père de l’Église qui veut les convertir. Le poëme se termine ainsi.

Ils furent enchantés, cependant ils préférèrent suivre leur ancienne voie.

Il en résulta donc pour saint Antoine — un long nez.

Je passai encore une couple de jours avec mes amis de l’Hudson, jours comblés de richesses, grâce à une infinité de belles choses que nos relations firent surgir, et aux fruits dignes du paradis que je mangeai. La nouvelle lune, en se montrant, donna un caractère encore plus romantique au voile d’été étendu sur les montagnes, la rivière, — et produisit des scènes d’une merveilleuse beauté. C’est par l’une de ces belles journées et avec une tempête chaude, que mes amis et moi, nous descendîmes l’Hudson pour aller à New-York. L’automne, en s’avançant, avait répandu sur la forêt d’arbres à feuilles rondes une teinte uniforme tenant de l’or et du cuivre, et brillante comme une broderie en or sans fin, sur le riche voile de vapeur indien qui couvrait les hauteurs et longeait l’Hudson. La violence du vent était telle, que le bateau penchait souvent sur le côté; et à mesure que le soir s’établissait, le silence augmentait