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LA VIE DE FAMILLE

rent et souffrirent un moment ; mais, la fumée devenant insupportable, on se disait bas qu’il fallait faire quelque chose pour en finir de cette infraction au règlement. La femme de charge fut appelée par mademoiselle S… « Il faut que vous disiez à cette dame qu’il n’est pas permis de fumer ici.

« — Je l’ai déjà fait, mademoiselle, mais elle ne s’en inquiète pas ; il est inutile de lui en parler. »

On attendit encore un moment pour voir si la géante ne s’apercevrait pas du mécontentement silencieux, mais évident, qui régnait autour d’elle ; mais non, elle restait assise et remplissait le salon de fumée.

Mademoiselle S… prit courage, s’avança vers la fumeuse et lui dit d’une manière aussi polie que digne :

« J’ignore si vous avez remarqué que votre chambre à une porte qui s’ouvre sur la galerie… Il serait beaucoup plus agréable, pour vous comme pour nous, si vous alliez y fumer votre pipe.

— Je préfère la fumer ici.

— Mais c’est défendu.

— Aux hommes, et non pas aux femmes.

— Il est défendu de fumer ici, pour vous comme pour tout le monde, et je suis obligée de vous prier d’y renoncer au nom de toutes les femmes qui se trouvent ici. »

Ces paroles furent prononcées avec tant de gravité et de grâce, que la géante en parut frappée.

« Eh bien, attendez un peu, » dit-elle en grommelant, et, après avoir tiré vivement quelques bouffées de tabac pour nous donner une correction, elle se leva et passa dans sa chambre. La civilisation avait remporté la victoire sur la barbarie : les géants avaient été vaincus par les dieux.

Nous allons continuer le voyage, non pas sur l’eau, mais