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JEANNE

Dans les champs, à la main, une alerte houette,
Des filles, par endroits, s’alignent eu longs rangs
Pour sarcler l’herbe folle, et de leurs rires francs
Par instants les éclats font vibrer l’air sonore.
Dans l’avoine, en effet, dans quelques blés encore,
Prosternant, vers le sol, leur buste au bras subtil,
Entremêlant le dur labeur d’un gai babil,
Mouvant, comme des fleurs, leurs bandes onduleuses,
Sous l’ample capuchon violet, les Sarcleuses
Se traînent à genoux, lentement.

Au goûter,
On se levé, on s’étire et l’on va caqueter
Sur les sacs remplis d’herbe, aux abords de la route,
Et l’on mord le prochain, tout en mordant sa croûte,
A belles dents d’émail, un peu gloutonnement
Et du coin d’une bouche avide. En ce moment,
Les sarcleuses sont là, formant presque une foule ;
Leurs membres, qu’a la fin le prosternement foule,
S’allongent assouplis, redevenus dispos
Dans ces galbes charmants que prennent les repos.

Or, l’entretien du jour c’est l’affreuse bataille
« Avez-vous vu Bruno ? dit Flore, quelle entaille !
« Ah rien que d’y songer je me sens défaillir.
« J’ai beau fermer les yeux, je vois toujours jaillir
« Le sang rouge du grand trou qu’il avait au crâne !

— « Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il a payé pour Jeanne,
« Dit Titine, ce beau tigre fait d’un agneau !
« La bâtarde a toujours ensorcelé Bruno,
« Il irait dans le feu pour elle… et la coquette
« Le recompense bien, en rêvant la conquête
« Du gros Thomas Oui rien que cela, s’il vous plaît !