Page:Brizeux - Œuvres, Histoires poétiques III-VII, Lemerre.djvu/212

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Trouvant le vieux recteur, il découvre sa tête ;
Puis, sa course reprise, à la fin il s’arrête
Près d’un immense amas de dôl-mens renversés,
Énigmes pour nos temps, titres des jours passés ;
Là, tourné vers le port et sa maison natale,
Le jeune Gratien pleure, et son cœur s’exhale :
 
« Adieu donc, mon pays, puisqu’on n’y vit plus seul !
Enclos où dans ses bras me portait mon aïeul,
Église où tout enfant j’allais servir la messe,
D’où si léger, si pur, je sortais de confesse,
Adieu ! Mais, flots amers, nids des bois, prés en fleurs,
J’emporte vos parfums, vos chansons, vos couleurs.
Ah ! de loin j’aperçois ma barque et ses deux rames !
Demain avec un autre elle fendra les lames…
C’est une chose étrange en moi, cœur si chrétien,
Frère de tous, cherchant toujours quelque lien :
Tout, hors de mes amis, m’emplit d’inquiétude,
J’ai besoin du silence et de la solitude.
Bonheur de vivre seul et maître dans son bourg !
Tout le jour on travaille et le soir on discourt,
Attablés en buvant sur le seuil de l’auberge,
Puis chacun va dormir sous ses rideaux de serge.
Le dimanche, après messe et vêpres et sermon,
Les boules bruyamment courent sur le gazon.
Dans mon heureuse enfance ainsi vivaient nos pères :
Les fronts étaient joyeux, les mœurs étant sincères…
Oh ! par les citadins nos champs sont envahis !
Mais nos souliers ferrés vont-ils dans vos pays,
Hommes vains et légers, et vous, ces élégantes
Par qui nos libres sœurs deviennent des servantes ?
Ah ! si là, dans ce fond, j’en voyais un marcher,