Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/102

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Enfin rasant les bords de ce funèbre lieu,
Voici que vers le cap ils s’en vont, mais si sombres
Qu’on dirait tour à tour des vivants ou des ombrés,
De pauvres naufragés perdus sur les îlots,
Ou des âmes en peine errant le long des flots.
Cependant, le premier de la bande est un prêtre,
A son vêtement noir facile à reconnaître,
Puis viennent sur ses pas deux jeunes passagers,
Un mousse, des marins, bizarres étrangers.
Comme sous un linceul, ô costume sauvage !
Sous leurs habits mouillés s’est caché leur visage ;
Pieds nus, la corde au cou, le visage voilé,
Ils suivent les détours du golfe désolé.

Non, Plô-Goff n’aura pas deux fois un tel spectacle !
Tous les gens du pays vinrent criant miracle !
Attroupés sur le cap, ils voyaient dans le bas
Les pâles visiteurs se traîner pas à pas,
Puis, entre les rochers, au chant plaintif des psaumes,
Monter vers eux, monter pareils à des fantômes.
Mais tous ayant sur mer des pères, des enfants,
Ils voulurent toucher et voir ces arrivants.
Les femmes ! (dans leur cœur si la crainte est bien forte,
Sur la crainte pourtant c’est l’amour qui l’emporte.)
Une d’elles, les bras ouverts, les yeux hagards,
Courut vers le cortège ; et, comme ses regards
Sous le linge mouillé n’entrevoyaient qu’à peine
Celui vers qui l’instinct de tout son cœur l’entraîne,
Par un mouvement brusque elle écarta les plis
Du voile, en s’écriant : «C’est vous, c’est vous, mon fils ! »
 
Mais lui, d’un ton glacé : « Que faites-vous, ô femme ?