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LE GALLOIS.

Ô terre des Kemris ! serait-ce pas étrange
Si dans un chant breton tu restais sans louange,
Comme au temps de Merlin, toi qui portes encor
La harpe dont la voix enivrait la clé-maur ?
Aujourd’hui la clé-maur fouille le sol des mines,
Mais la harpe aux doux sons erre sur les collines ;
Le barde qui s’endort sur ton sommet sacré,
Ô blanc rocher d’Erhi, se réveille inspiré ! —
 
Les Bretons s’écriaient : » De quel peuple est cet autre ?
Nous entendons sa langue, et ce n’est point la nôtre.
Venez-vous de Ker-Ludd[1], ville des bâtiments,
Pays de durs Saxons et de fourbes Normands ?
 
« — Le pays d’où je viens, vous en sortez peut-être.
Dans les vieilles chansons (vous surtout, digne prêtre !)
Jamais n’avez-vous lu quand les brandons de feu
Contre l’Île-de-Miel furent lancés par Dieu ?
Ils vinrent, les Saxons, avec leurs lances minces,
Pour punir nos discords et l’orgueil de nos princes :
L’État ne posait plus sur son triple pilier
Le sage laboureur, le barde, l’ouvrier.
Terrible fut le choc, la défense terrible.
La Tueed, rouge de sang, devint un fleuve horrible.
Ô dragon des Kemris ! de cimiers en cimiers
Que tu volais ardent sur le front des guerriers !
Quand le barde égorgé se taisait, quelles flammes
De ton gosier béant tu jetais dans les âmes !

  1. Londres.