Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/124

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Cette joyeuse mère et son joyeux enfant :
De sorte que Lilèz, qui lisait dans son âme,
Lui dit : « Instruisez-vous des devoirs d’une femme.
Près de ce nourrisson, apprenez comme on doit
Passer sur une bouche et repasser le doigt.
On a semé pour vous du blé dans la paroisse,
Pour vous seule, Annaïc, il ne faut pas qu’il croisse.
Regardez cette mère, et vous saurez comment
Un enfant se nourrit de la fleur de froment. »
 
Que répondit Anna ? Rouge et pleine de honte,
À baisser en avant sa coiffe elle fut prompte ;
Et pour mieux échapper à tout malin regard,
Elle-même donna le signal du départ.
 
La route de la veille, ils la refont encore.
Ils passent le torrent. Leur pas ferme et sonore
Retentit sur le pont et le quai de Morlaix
Qu’aujourd’hui dans leur langue on nomme Montrou-Lèz :
Pays d’Albert le Grand, moine d’une foi grande
Qui des saints d’Armorique écrivit la légende.
Ils avancent toujours. Les montagnes d’Arré
Dressent sur le chemin leur dos morne et sacré.
Le dos de la Bretagne. Alors tout se déboise.
Lande courte, aucun bruit, des rocs semés d’ardoise.
Un lourd soleil d’aplomb sur un terrain pierreux.
Ils avancent toujours. Dans le fond, derrière eux,
Un roulier qui les suit de son bruit monotone ;
Et loin, bien loin devant, la route longue et jaune
Montant avec effort ; eux-mêmes, je les vois,
Ainsi que trois points noirs, gravissant à la fois.
Enfin, de la Bretagne ils ont franchi l’arête.