Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/47

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plusieurs chants traduits de l’Enfer, a déployé une vigueur toute dantesque, et plus récemment M. Louis Ratishonne a eu le courage de mener à bon terme une traduction en vers où brille en maints endroits le plus sérieux mérite. La traduction de Brizeux est en prose, mais cette prose souple et nerveuse reproduit avec une fidélité expressive la physionomie du poète florentin. « Les plis ondoyants de l’ancienne toge, dit-il en sa préface, s’ajusteraient mal à une figure semi-gothique. » Il dit encore : « La Divine Comédie ne peut être d’une lecture courante comme l’Iliade et l’Enéide ; il faut suivre le théologien et même le scolastique dans toutes sortes d’arguties, le politique passionné dans mille allusions aux affaires de sa petite république, l’artiste du moyen âge dans les étrangetés et les raffinements d’une poésie toute complexe : enfin, c’est une étude et même un travail ; mais qu’on pénétre dans cette grande œuvre, et peu à peu un grand charme se fera sentir. « Le grand charme de cette inspiration laborieuse, les traits naïfs et durs de cette figure semi-gothique, tout cela est rendu avec un art qui n’échappe point aux initiés. On retrouve ici l’âme méditative qui a longtemps vécu avec Alighieri, comme on va voir, dans le livre lyrique des Ternaires, le jeune Celte poétiquement enivré de la liqueur toscane.

Ce recueil des Ternaires fut très apprécié des poètes et des artistes ; le public le goûta peu. La foule, routinière en toute chose, l’est surtout en poésie ; elle ne permet guère que l’imagination se renouvelle. Si vous avez réussi à l’engager sur vos pas, n’espérez pas l’attirer sans résistance dans les chemins nouveaux où l’art vous conduit. Les jugements tout faits lui conviennent ; à chaque ouvrage qui paraît, il faut qu’elle puisse appliquer de vieilles formules. Le livre des Ternaires dépaysait un grand nombre des lecteurs de Marie. Ce qui avait charmé dans Marie, c’était la simplicité et la fraîcheur. Les Ternaires nous montraient l’élève d’Arzannô initié à toutes les finesses de l’art italien. De même qu’après 1830 il avait opposé au tumulte des esprits et des lettres ces doux paysages du Léta, dont rien ne troublait l’harmonie, il opposait, dix ans plus tard, au matérialisme littéraire, très visible déjà, les délicatesses les plus fines du