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PHILOSOPHIE ANCIENNE

dirions aujourd’hui, un élément subjectif. Il n’est pas plus vrai de dire avec le même Pausanias que l’amour est bon quand il s’attache aux âmes, mauvais quand il a pour objet les corps. En effet, dans la pensée de Platon, l’amour des corps a sa place légitime, pourvu qu’on le considère comme un point de départ, comme un degré inférieur d’où le philosophe peut partir, mais où il ne doit pas s’arrêter. D’autre part l’amour véritable s’attache, non seulement aux âmes, mais encore à bien d’autres objets, tels que les sciences, les lois, les idées, et enfin son objet propre est la génération dans la beauté et non pas la possession de tel ou tel objet. Ce n’est pas davantage, comme le croit Éryximaque, l’intensité ou la violence plus ou moins grande de ce sentiment, car tout cela encore est variable et d’ailleurs peu précis. Au vrai, c’est à ses fruits qu’on doit juger l’amour. Puisqu’il consiste essentiellement à engendrer dans la beauté, il sera bon quand les effets qu’il produit seront conformes à la beauté, mauvais dans le cas contraire. Comme la beauté elle-même s’élève de degrés en degrés, on devra distinguer les mêmes gradations dans l’amour ; le plus parfait et le plus vrai sera celui qui produira dans les âmes la connaissance la plus haute des Idées. En d’autres termes, la valeur de l’amour est fondée sur la réalité métaphysique des Idées ; c’est dans le platonisme seulement qu’on peut en trouver la véritable théorie ; et c’est pourquoi le Socrate du Banquet attribue à Diotime toutes ces conceptions si peu semblables et à certains égards si opposées à celles du Socrate historique.

2° De cette définition de l’amour et de la place qui lui est attribuée dans le système de Platon résulte une conséquence fort importante, à laquelle peut-être les historiens n’ont pas toujours assez pris garde. L’amour n’étant par essence ni bon ni mauvais, étant déchu du rang supérieur auquel la sophistique l’avait élevé, il ne devra jamais occuper dans le système de Platon, s’il est conséquent avec lui-même, qu’une place secondaire et jouer un rôle subalterne. En d’autres termes, pour parler le langage des modernes, le sentiment ou le cœur seront toujours subordonnés à l’intelligence. C’est bien ce que dit Platon lui-même, et le rôle qu’il attribue à l’amour est celui d’un intermédiaire qui prépare les voies, d’un guide qui