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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

— Et c’est encore un fait que tu ne pourras me contester ni traiter de mensonge. » Telles sont les précautions que prend Platon pour nous obliger à prendre au sérieux les paroles d’Alcibiade, et en présence de ses affirmations réitérées on ne saurait contester que son intention ait été de tracer un portrait authentique et fidèle. Il a une valeur historique.

On peut retrouver trait pour trait dans l’image de Socrate tracée par Alcibiade tous les caractères du véritable philosophe, tels qu’ils ont été précédemment indiqués. D’abord Socrate dit lui-même que l’amour est la chose dont il s’est toujours le plus occupé et qu’il lui a toujours été soumis. Alcibiade le représente plaisamment comme toujours à l’affût des beaux jeunes gens, et Socrate lui-même feint d’être épris d’Agathon. Mais il faut remarquer d’abord que, conformément aux paroles de Diotime, cet amour de Socrate ne s’adresse pas à un seul beau jeune homme, mais à tous ceux où se rencontre la beauté. Il est épris à la fois d’Alcibiade, d’Agathon, de Charmide et d’Euthydème et de bien d’autres encore qu’il a trompés de la même façon en feignant d’être leur amant (222, B). En outre, ce n’est pas la beauté physique à laquelle il s’attache, mais la beauté morale. « Sachez que la beauté d’un homme est pour lui l’objet le plus indifférent. On n’imaginerait pas à quel point il la dédaigne » (216, D). — C’est bien ce que disait Diotime. « Il doit regarder la beauté de l’âme comme plus précieuse que celle du corps, en sorte qu’une belle âme, même dans un corps dépourvu d’agrément, suffise pour attirer son amour et ses soins, et pour lui faire engendrer en elle les discours les plus propres à rendre la jeunesse meilleure » (210, C). Enfin tous les discours qu’il adresse à ces jeunes gens, les interminables questions dont il les presse, les soins dont il les entoure, ont toujours un seul et même but : développer en eux les germes de vertus qu’ils renferment.

Il est vrai que l’exemple d’Alcibiade semble assez mal choisi pour donner une haute idée de l’efficacité de l’enseignement de Socrate, et nous savons qu’on a plus d’une fois fait un crime au philosophe d’avoir formé un tel disciple. Mais Platon a bien vu la difficulté, et on peut croire que ce n’est pas sans