Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
PHILOSOPHIE ANCIENNE

La sincérité religieuse de Platon ne saurait faire aucun doute. Les expressions qui désignent Dieu lui sont familières, et chaque fois qu’on les rencontre, on est frappé du respect qu’elles inspirent au philosophe. Au livre dixième des Lois, Platon défend la doctrine de la Providence. Dans le Timée, il nous montre Dieu façonnant l’univers. Dieu est donc l’auteur du monde. Mais dans quelle mesure l’est-il ? Et si le monde sensible n’existe qu’à la condition de participer aux Idées, l’existence de celles-ci n’est-elle pas nécessaire au Démiurge ? Bref, comment est-il permis de concevoir le rapport des Idées à Dieu ? Une première réponse, et pour nous autres modernes, de toutes la plus satisfaisante, consiste à concevoir les Idées comme autant de manifestations de l’intelligence divine. Dieu est le lieu des Idées : entre elles et Dieu pas de distinction possible du point de vue de la substance. Aussi bien, s’il en était autrement, on s’expliquerait à grand’peine les caractères dont les Idées sont constamment revêtues : l’éternité, la pureté, la perfection, etc. C’est d’ailleurs ainsi que Thomas d’Aquin considère les Idées platoniciennes.

Si satisfaisante qu’une telle interprétation puisse être jugée, il y a lieu de la combattre. Aristote ne la mentionne nulle part. Dans les Dialogues, il n’en est point question. Et cela s’explique. En effet, si, comme le Timée en fait foi, les Idées sont les modèles éternels qui servent à diriger le travail du Démiurge, c’est que le Démiurge leur est extérieur. De plus, les Idées sont conçues comme de véritables substances, existant par elles-mêmes et ne dépendant d’aucune autre réalité. En voulant se les représenter comme des pensées de Dieu, on les dénature. Car entre ces deux propositions : « les Idées n’existent qu’en Dieu » et « les Idées existent par elles-mêmes » il faut, de toute nécessité, choisir. Or, de ces deux propositions, l’une revient incessamment dans les Dialogues, et c’est la seconde. L’autre n’est indiquée nulle part, pas même implicitement. Ajoutons qu’elle paraît bien avoir été réfutée dans le Parménide, là où il nous est dit que les Idées ne sauraient être des pensées : « autrement tout penserait ».

Ces difficultés, à nos yeux décisives, n’ont point échappé