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PHILOSOPHIE ANCIENNE

tence d’une Idée de la grandeur, ne faudra-t-il pas, puis qu’entre les diverses grandeurs observées et l’Idée de la grandeur il y a encore un caractère commun, reconnaître une seconde Idée de la grandeur à laquelle participent toutes les autres, puis une troisième et ainsi à l’infini. Il y aura ainsi, non pas une grandeur unique, mais une infinité de grandeurs. Il ne sert à rien de répondre, comme le fait Socrate, que l'Idée pourrait bien être simplement une pensée de l’âme, car cette pensée est la pensée de quelque chose, de quelque chose qui est partout et toujours le même et par conséquent une Idée ; de plus, il faudrait alors que tout ce qui existe, étant une pensée, fût doué de pensée (131, A ; 132, D) ; deux conséquences également absurdes.

4° Considérons maintenant la participation sous un autre aspect. Concevons-la comme une ressemblance ; les Idées seront alors des modèles et les choses sensibles des copies ; mais si les copies sont semblables au modèle, il faudra admettre une seconde Idée à laquelle participent les unes et les autres et qui sera leur modèle commun, puis une troisième, et ainsi à l’infini (132, D). C’est déjà, très nettement formulée, la célèbre objection du troisième homme qu’Aristote reprendra.

5° Voici une difficulté encore plus grave : les Idées telles qu’on vient de les définir ne sauraient être l’objet de la connaissance humaine. En effet, les Idées ne sont pas en nous puisqu’elles sont en soi. Celles des Idées qui sont ce qu’elles sont par leurs rapports réciproques ont une essence relative entre elles et non aux choses qui se trouvent en nous ; de même les choses qui sont en nous et qui tirent leur nom de ces Idées sont à leur tour en rapport entre elles et non avec les Idées. Par exemple, un homme est esclave d’un maître qui est un homme et non pas du maître en soi, et un maître qui est un homme commande non à l’esclave en soi, mais à un homme. Le pouvoir en soi n’est ce qu’il est qu’à l’égard de l’esclavage en soi, et l’esclavage en soi n’existe qu’à l’égard du pouvoir en soi. Il en est de même de la science : la science en soi ne peut avoir pour objet que les êtres en soi ; de même la science humaine ne peut savoir que des vérités qui sont en nous. Il est donc de toute impossibilité que la