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XXVII
INTRODUCTION

probabilisme rationaliste, exclusif de toute spéculation transcendante qui prétendrait être science, interprété comme une façon de lier l’expérience à la logique, de comprendre les faits dans un ordre dialectiquement justifiable. Il s’était fortement attaché à l’idée du rôle de la volonté dans la certitude, et rien ne prouve qu’il s’en soit entièrement détaché : cette doctrine lui paraissait propre à garantir l’esprit contre les retours offensifs du dogmatisme, et elle exprimait aussi sa tendance à ne pas effacer de l’œuvre de la connaissance la marque personnelle de l’ouvrier. Mais tandis que çà et là cette doctrine avait contracté alliance avec des théories qui réservaient au sentiment et aux intuitions du « cœur » le droit de dépasser la raison ou de la tenir en échec, Brochard, en dépit de quelques concessions verbales, n’acceptait d’en faire la limite du rationalisme que pour lui imposer également le rationalisme comme limite. Sa pensée ne se laissa jamais toucher d’aucun mysticisme. Elle aimait les horizons clairs, au risque d’être tentée de les voir plus proches. Elle traçait avec décision aux choses, à la vie et à la nature humaine les contours qui lui permettaient de les enserrer pour les bien comprendre. Elle s’arrangeait à merveille pour n’être point dupe. Elle goûtait peu les entreprises philosophiques qui supposent des postulats obscurs, des dérivations lointaines, et comme des blocs de notions imperméables à la logique et à l’analyse psychologique. Elle était toute imprégnée de l’idée des anciens, que l’ordre comporte la mesure, et qu’une vie bien ordonnée ne saurait l’être par la contrainte de quelque principe impératif et abstrait, sans proportion aucune avec les requêtes définies et les objets précis de nos tendances. Elle était donc impatiente de tout ce qui, sous une forme ou sous une autre, semblait vouloir s’imposer à elle, tandis qu’elle gardait la sympathie, sinon la conviction, ouverte à toutes les tentatives intellectuelles sincères et sérieuses. Et telle est l’œuvre de Brochard : érudite sans excès de minutie, pénétrante sans excès de subtilité,