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PHILOSOPHIE ANCIENNE

même temps, dit Zénon, B1 aura passé devant tous les C, C1 devant tous les B, et d’autre part B1 et C1 n’auront passé que devant la moitié des A. Or la série A est égale à chacune des deux autres : les temps sont proportionnels aux espaces : le temps employé par les B et les C à parcourir, et toute la longueur des A, et la moitié de cette longueur, est donc le double de lui-même[1].

Rien de plus sophistique que ce raisonnement si, comme le dit Zeller, il consiste à supposer que l’espace parcouru par un corps se mesure à la longueur du corps devant lequel il passe, que celui-ci soit, ou non, en repos. Mais cette interprétation ne nous semble pas exacte.

Si, comme nous l’avons admis, Zénon raisonne dans l’hypothèse des indivisibles, nous devons admettre que les points A, B et C sont des éléments absolus de l’espace en soi, et se meuvent dans l’instant, élément absolu du temps en soi. Après le premier instant, B1 qui était, je suppose, au-dessous de A2, en ligne droite avec lui, se trouve au-dessous de A3, supposé immédiatement contigu à A2 ; C1, qui était d’abord au-dessous de A3, se trouve au-dessous de A2. Mais pour que B1 et C1 occupent leur position actuelle, il faut de toute nécessité qu’à un moment ils se soient trouvés en ligne droite l’un avec l’autre. Cependant leur mouvement s’est accompli dans un instant indivisible. Il faut donc, ou qu’ils ne se soient pas croisés (et alors il n’y a pas de mouvement), ou que, dans l’instant indivisible, deux positions aient été occupées par les deux mobiles : mais alors l’instant n’est plus indivisible. En d’autres termes, il est impossible de concevoir un instant

  1. On traduit d’ordinaire ὄγκοι par masses, et c’est assurément légitime. Il nous semble pourtant que l’idée exprimée par ce mot est moins celle de masse que celle d’indivisible : si l’on veut, des masses indivisibles et contiguës. C’est pourquoi nous préférons traduire par points, quoique ce mot ne soit pas non plus tout à fait satisfaisant. Le mot ὄγκοι est employé comme synonyme d’atome par Épicure (ap. Diog. Laert., X, 54), et plus tard par Asclépiade de Bithynie (Sext., Adv. Math., VIII, 220).