Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/504

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qu’elle apparaît dans le sujet, et ne faire entrer dans cette définition que les données de la conscience ; elle doit être exprimée en termes purement psychologiques, et il faut en exclure tout élément métaphysique. On pourra dire qu’elle est une adhésion, ou un consentement entier, irrésistible, inébranlable, sans aucun mélange de doute. Et ainsi définie en termes purement subjectifs, la certitude doit toujours différer spécifiquement de la croyance.

Cela posé, sommes-nous en droit de dire qu’il existe une telle différence spécifique ? Ne nous arrive-t-il pas de donner à l’erreur cette adhésion entière, irrésistible (autant du moins que nous en pouvons juger), inébranlable (au moins tout le temps que dure la croyance) ? Osera-t-on soutenir qu’à chaque instant nous ne soyons pas certains du faux ? Nous avons beau déclarer, une fois notre erreur reconnue, que n’étant pas certains, nous croyions l’être ; c’est après coup que nous faisons cette distinction. Au moment même où a lieu cette croyance que nous appelons certitude, l’observation la plus attentive, la réflexion la plus scrupuleuse, la sincérité la plus entière, la bonne foi la plus parfaite ne nous découvrent, en bien des cas, rien de suspect : nous croyons de tout notre cœur, et pourtant nous nous trompons. Il est inutile de citer ici des exemples qui s’offrent en foule à l’esprit : les plus folles superstitions trouvent des adeptes sincères ; les plus extravagantes utopies, des défenseurs zélés et désintéressés ; les plus mauvaises causes, des serviteurs passionnés et des martyrs.

Si de tels exemples ne paraissent pas assez probants, les philosophes nous en offrent d’autres, où l’on ne saurait suspecter ni la bonne foi, ni les lumières. Eux aussi sont attachés à leurs systèmes de toute l’ardeur de leurs convictions, de toutes les forces de leur esprit et de leur cœur : leur âme est inondée de cette éblouissante lumière qui nous apparaît comme la marque distinctive, de la vérité. Ils sont certains : et pourtant quelques-uns du moins se trompent, puisque si souvent il se contredisent. Spinoza dit fièrement qu’on n’est jamais certain du faux. Ses idées sont irrésistiblement claires pour lui : le sont-elles pour tant d’autres qui les ont combattues ? et les idées irrésistiblement claires de tant d’autres,