Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/517

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intellectuel, et nous accorderons à M. Janet qu’il faut distinguer entre l’opération qui s’accomplit dans notre pensée, lorsque par exemple Corneille nous parait supérieur à Racine, et l’affirmation par laquelle nous déclarons que l’un est supérieur à l’autre. Seulement cette opération de l’intelligence, distincte de la préférence de la volonté, nous ne l’appellerons ni un jugement, pour la raison indiquée plus haut, ni même une préférence. À nos yeux, dès qu’il y a réellement jugement ou préférence, l’entendement et la volonté s’unissent : l’acte volontaire s’ajoute à la représentation. Se représenter Corneille comme supérieur à Racine, ce n’est pas assurément vouloir que cela soit, il n’y a pas là ombre de volonté. Mais jusque-là c’est un pur possible. En revanche, au moment où je juge que Corneille est supérieur à Racine, je choisis entre deux opinions également présentes à ma pensée ; je prends un parti ; je décide : et c’est là un acte de volonté. Il est bien vrai, comme le dit M. Janet, qu’en prononçant ce jugement, je n’entends pas seulement exprimer ma préférence et mon goût : je déclare que cela est ainsi, indépendamment de mon goût particulier. Telle est en effet la prétention de toute croyance : mais qui ne voit qu’en réalité, je ne fais qu’exprimer ma préférence personnelle et mon goût particulier ? Et il en est ainsi de tous nos jugements : les vérités les plus absolues et les plus universelles ne deviennent objets de croyance qu’en revêtant la forme de jugements individuels, acceptés, et comme ratifiés par telle personne donnée.

En dehors des objections si ingénieuses et si fines de M. Janet, la théorie de la croyance volontaire soulève encore bien des difficultés : examinons-en quelques-unes.

On trouve chez Spinoza une théorie originale et profonde de la croyance. Les idées, suivant ce philosophe, ne sont pas comme des dessins muets et inertes tracés sur un tableau

(Eth., II, pr. 43, pr. 48, schol.)
: elles sont actives et en quelque sorte vivantes : c’est toujours une réalité qu’elles représentent. En d’autres termes, l’idée et la croyance ne sont jamais séparées 
(Eth., II, pr. 17 corol.)
: l’analyse les distingue,