Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/530

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un pur Stoïcien. Au surplus, s’il admet la vie future, il admet aussi le dogme stoïcien de la conflagration générale suivie de la palingénésie. L’immortalité stoïcienne n’aurait dès lors rien de commun avec ce que les modernes, par ce mot, ont coutume d’entendre. De même encore, malgré les efforts d’un grand nombre d’historiens pour trouver chez Aristote une doctrine de la vie future, c’est là un paradoxe qu’aujourd’hui personne n’oserait soutenir sérieusement. Resterait Platon. Nous sommes loin de contester que Platon ait cru justifier l’immortalité de l’âme, et l’argumentation du Phédon ne nous parait aucunement mythique : nous estimons qu’elle veut être prise au sérieux. Mais une chose est certaine : c’est la possibilité d’exposer tout entière la morale de Platon, ses idées sur la justice, sa doctrine de la vertu, sa théorie du souverain bien, sans faire intervenir la croyance à l’âme immortelle. Le dixième livre de la République est, à cet égard, tout à fait significatif. C’est seulement après avoir défendu la justice pour elle-même, après en avoir fait la condition nécessaire et suffisante du bonheur, que Platon affirme, par surcroît, qu’elle est en outre récompensée dans un autre monde. Dans le monde présent, elle se suffit pleinement à elle-même. Ainsi la croyance à la vie future, même chez Platon, c’est une croyance qui s’ajoute à la morale et peut, conséquemment, en être détachée.

II

Nous pouvons donc tenir pour acquis que la conception morale des philosophes grecs et celle des philosophes modernes diffèrent toto cœlo. En présence de cette diversité ou plutôt de cette opposition, on peut prendre deux partis. On peut dire d’aborder c’est l’opinion qui a généralement prévalu, que cette morale antique n’est qu’une morale inférieure, très imparfaite, une ébauche de morale, sensiblement au-dessous de la nôtre, inspirée par la tradition judéo-chrétienne, et qu’il est entre les deux morales une différence analogue à la différence plus haut signalée entre l’idée grecque et l’idée judéo-chrétienne de Dieu. On concevrait alors la morale