Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singulièrement indirecte et éloignée, non seulement à leur insu, mais plutôt contre leur gré. Et nous ne voyons pas que cette élaboration soit fort avancée, même au temps de Platon qui, dans la dernière partie de sa vie, revient aux vues de Pythagore, replace le nombre dans les choses, et en fait la substance ou la matière même des Idées.

Quoi qu’il en soit de ces divergences entre l’interprétation que nous défendons ici et celle de M. Milhaud, on voit que nous sommes loin du temps où les arguments de Zénon étaient considérés comme de simples sophismes. Au point de vue où M. Milhaud suppose que Zénon s’est placé, tous ses arguments sont valables et décisifs : c’est, selon lui, une excellente réfutation par l’absurde de la thèse pythagoricienne. M. Noël paraît traiter moins favorablement les arguments du vieil Éléate. Les deux derniers lui semblent irréprochables : mais il fait des réserves sur les premiers, non toutefois sans reconnaître qu’au point de vue ontologique où se plaçait Zénon, celui de la réalité substantielle de l’étendue, ils sont loin d’être sans valeur. Il y a là cependant, selon lui, un paralogisme, lequel est une pétition de principe, et finalement M. Noël appelle encore des sophismes les deux premiers arguments de Zénon. Je sais bien que cela veut seulement dire que M. Noël est d’un autre avis que Zénon sur le continu et le mouvement, et je ne prends pas cette expression plus au tragique qu’il ne convient. Elle me semble cependant un peu injuste. Au point de vue de Zénon, point de vue qui lui est commun avec ses adversaires, il n’y a pas l’ombre de sophisme. En effet, comme j’ai essayé de le montrer, ce n’est pas contre l’existence, mais contre la composition du continu que sont dirigés les arguments de l’Éléate. Si, dit-il, l’Etre est multiple, c’est-à-dire s’il est réellement composé de parties, le mouvement (tel que nos sens nous le montrent et que l’affirment les Ioniens) est impossible : et il le prouve. Que fait M. Noël pour répondre à cet argument? Il substitue à l’idée du mouvement, considéré comme déplacement dans l’espace, un concept tout différent : il suppose des quantités qui ne sont données ni dans leur totalité, ni par parties successives; il introduit la notion de puissance; il fait du mouvement une idée rationnelle; il