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III

PROTAGORAS ET DÉMOCRITE



Le sens de la célèbre formule de Protagoras (Platon, Théét., 152, A : πάντων χρημάτων μέτρον ἄνθρωπον εἶναι, τῶν μὲν ὄντων, ὡς ἔστι, τῶν δὲ μὴ ὄντων, ὡς οὐκ ἔστιν), après tant de travaux, paraît aujourd’hui bien établi : c’est une formule sensualiste et sceptique : elle exprime la relativité de toute connaissance. En vain d’ingénieux critiques ont-ils essayé d’en étendre la portée, et imaginé que par ἄνθρωπος Protagoras entendait, non pas l’homme individuel, non pas la sensibilité de chacun, mais l’homme en général, considéré comme être intelligent. On peut dire que la belle étude de Natorp (Forsch. zur Gesch. des Erkenntnissproblems im Alterthum) a fait justice de cette hypothèse, à l’appui de laquelle on ne saurait citer aucun texte précis. Natorp a prouvé par un examen minutieux, et avec un grand luxe d’arguments — ce qui paraissait évident à première vue pour tout lecteur non prévenu — que Platon a été dans le Théétète un interprète fidèle, un adversaire loyal, d’une bonne foi scrupuleuse, et attaché toujours, sinon à la lettre, du moins à l’esprit de la doctrine qu’il expose avec tant de profondeur avant de la critiquer avec tant de subtilité. Par suite, l’origine héraclitéenne de la thèse de Protagoras ne saurait être plus douteuse que la signification de la formule.

Toutefois, s’il nous semble incontestable que la doctrine de Protagoras est, dans son ensemble, relativiste et sceptique,