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NOTICE SUR LA VIE ET LES ŒUVRES

enseignement, l’autorité de sa parole, le nombre et le succès de ses livres, la dignité de sa vie imposaient peu à peu à tout le monde l’estime et le respect ; et il finit par rester le maître d’une situation qui avait paru d’abord si incertaine et si troublée. Il passa vingt-cinq ans dans sa ville natale, entouré de l’estime et de l’admiration de ses concitoyens. Il avait bien montré que son mérite et son talent étaient à la hauteur de sa fortune, et que la confiance était bien placée qu’on avait mise en lui, malgré sa jeunesse, dès sa sortie de l’École normale.

Un instant, dans cette période de sa vie, il fut tenté par la politique : « J’eus le tort, écrit-il, de me mêler à la politique. J’étais électeur… je votai avec l’opposition qui me porta, en 1846, au Conseil municipal et, ce qui était plus compromettant, à la vice-présidence du Comité de la réforme électorale. Comme bien d’autres, je fus surpris par la catastrophe de 1848. J’aurais voulu, ce qui était raisonnable, une certaine extension du droit de suffrage ; j’eusse préféré M. Thiers à M. Guizot, Odilon Barrot m’eût fait peur ; et voilà qu’en un jour tout était bouleversé et la société menacée jusqu’en ses fondements. C’était une leçon que, depuis, je n’ai pas oubliée. Depuis lors, j’ai pris le parti révolutionnaire en haine et je me suis rallié au parti conservateur sous tous les régimes. »

Si conservateur qu’il fût, et quoique sincèrement attaché au régime impérial, M. Bouillier n’était pas cependant de ceux qui approuvent de parti pris tous les actes du pouvoir. Il était homme à dire la vérité à ses amis, même à leur adresser des remontrances, et, s’il le fallait, à leur résister. Il ne transigeait jamais quand une question de principe était posée. Il ne cherchait pas la bataille, mais il ne la refusait pas quand elle venait à lui, et il ne lui déplaisait pas de lutter pour une noble cause. On le vit bien lorsque, son collègue V. de Laprade ayant été révoqué par décret impérial pour une pièce de vers sur les Muses d’État, il dénonça, en plein conseil de Faculté, l’illégalité commise dans la nomination de son successeur et protesta avec une éloquente énergie contre un abus de pouvoir. Il osa aussi, dans un discours de rentrée, tenir tête au ministre dont il n’approuvait pas les réformes pédagogiques, et il engagea une nouvelle lutte avec le ministre Rouland, lorsque celui-ci voulut exercer la haute main sur la direction des Sociétés savantes de province et les soustraire à la tutelle de l’Institut. Mais c’est là une idée qui lui tenait fort à cœur et qu’il devait reprendre plus tard ; nous y reviendrons bientôt. C’est surtout à l’enseignement et à la philosophie que