Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/67

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que soient leurs autres conceptions, quelque hostilité peut-être qu’il y ait eu entre eux, les noms des deux penseurs, en tant qu’ils s’opposent à Protagoras, sont souvent cités ensemble (Sext., M., VII, 389. — VI, 50. — VII, 116. — VII, 389. — VIII, 6. — VIII, 56). Tous deux, en effet, ont poursuivi le même but : maintenir contre la critique négative du sophiste les droits de la science. Dans cette œuvre commune, ils ont dû nécessairement se rencontrer en bien des points : tous deux ont, en effet, diminué la valeur du témoignage des sens; tous deux ont invoqué une faculté de connaître distincte de l’expérience sensible. Bien plus, tous deux, pour expliquer, soit l’erreur, soit le caractère subjectif des apparences sensibles, ont dû admettre la réalité du non-être : à ce point de vue encore il y a une étroite parenté entre le Sophiste et l’œuvre de Démocrite. Mais là s’arrêtent les ressemblances. Au témoignage de Théophraste (l. c.), Platon n’a pas dépouillé les corps de leurs qualités aussi hardiment que Démocrite a osé le faire. La réalité que le philosophe d’Abdère reconnaît au delà des phénomènes est toute matérielle, et c’est des Idées que Platon prétend démontrer l’existence. La faculté de raisonner qu’invoque Démocrite n’est pas l’intuition intellectuelle de Platon. Enfin, tandis que le non-être de Platon parait n’avoir qu’une existence toute relative dans le domaine des Idées, Démocrite fait du non-être ou du vide une réalité, une sorte d’absolu. Mais en dépit de ces différences et d’autres encore, les deux philosophies n’apparaissent pas moins comme ayant le même rapport à la thèse de Protagoras : elles sont la protestation du dogmatisme, idéaliste ou matérialiste, contre le relativisme réaliste de Protagoras.