Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
SUR LE « BANQUET » DE PLATON

vives du Banquet soient des amis rapprochés par une sympathie commune, habitués à se rencontrer et à échanger entre eux sur les sujets les plus divers des pensées délicates ou des propos ingénieux. En est-il réellement ainsi ? Ou n’y a-t-il pas quelques épines parmi ces roses ? Ne peut-on pas, sous les formes extérieures de la politesse et à travers l’enjouement d’un entretien amical, découvrir certaines oppositions, quelques réticences et même sur certains points l’essentiel désaccord ? En particulier, comment faut-il expliquer la présence d’Aristophane parmi les amis de Socrate ? L’auteur des Nuées s’est-il réconcilié avec sa victime, et dans les conversations légères du dialogue ne subsiste-t-il rien des anciennes inimitiés ? Devons-nous dire avec quelques historiens qui s’en étonnent que les deux interlocuteurs conversent sur le ton de la plus intime cordialité, ou Platon se souvient-il, même en écrivant le Banquet, du temps où il dénonçait Aristophane comme un des principaux auteurs de la mort de Socrate ? (Apol., 19, C.)

La doctrine de Socrate, ou plutôt de Diotime de Mantinée, ou plutôt encore de Platon, sur l’amour est assez claire par elle-même ; mais comment s’accorde-t-elle avec l’ensemble du système ? D’où vient ce brillant éloge de l’enthousiasme et de l’amour dans l’œuvre sévère du métaphysicien géomètre et du législateur un peu morose de la République et des Lois ? Enfin, quel rapport y a-t-il entre le discours d’Alcibiade et les autres parties de l’ouvrage ? Faut-il voir dans ces bouffonneries un simple jeu dont il n’y a pas à chercher d’autres raisons que le caprice et la fantaisie de l’auteur, ou bien peut-on, là encore, apercevoir un lien plus étroit, découvrir une pensée unique qui relie entre elles les diverses parties de l’ouvrage ? La preuve que ces différentes questions se posent naturellement et que la solution n’en est pas fort aisée, c’est que les critiques les ont diversement résolues. Notre intention n’est pas, dans le présent travail, de passer en revue et de discuter ces solutions[1] ; nous voudrions seulement, sans nous flatter le moins du monde de résoudre toutes les difficultés,

  1. Signalons seulement entre autres travaux l’étude de M. C. Huit : Étude sur le « Banquet » de Platon, Paris, 1889. Et du même auteur : Platon et Aristophane dans la Revue des Études grecques, 1888.