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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

et le vrai malheureux, celui qui va acheter deux sous de braises chez le boulanger au jour le jour, ne pouvait faire de provisions. Lorsque sur ce bois on faisait cuire quelque aliment, le goût en était affreux. On était vraiment plus heureux sur le pavé des rues que dans l’intérieur des maisons. La misère commençait à se faire sentir, le prix des denrées alimentaires augmentait dans des proportions énormes et inquiétantes.

Comme toujours et en toutes choses, les maladresses se multiplièrent.

Lorsque les Prussiens s’approchèrent des environs de Paris, on fit entrer dans la ville tous les habitants des alentours, ce qui était très naturel, mais on aurait dû les obliger à sacrifier leurs bêtes, quitte à leur payer un prix raisonnable, et livrer immédiatement leur chair à la consommation (comme cela était absolument logique, on fit le contraire).

Ils entrèrent donc dans Paris, suivis de tous leurs bestiaux et de leurs basses-cours. Tout espace libre était transformé en parc ; ici, un troupeau de moutons ; là, dans les squares, des bœufs, des vaches ; en d’autres lieux, des poules, des lapins, voire même des ânes. Nous avions alors un concert magnifique, on entendait de tous côtés des beuglements, des bêlements, le chant du coq et les braiments des ânes ; à tous ces cris divers se mêlaient la sonnerie du clairon, le bruit du tambour, les chants patriotiques et tout ce tintamarre était couvert de la voix formidable du canon.

Ces braves riverains avaient emmené toutes leurs