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QUATRIÈME PARTIE

le faire cuire. Donc plus de lait, plus d’œufs, plus de beurre. Que fallait-il faire ?

L’autre pauvre petit garçon eut une attaque de jaunisse, on me conseilla de lui faire cuire des carottes et d’en extraire le jus. C’est bon, me disait-on ; ma mère alla aux halles pour en acheter ; elles se vendaient 6 francs la livre (c’était de provenance des maraudeurs.) Quand on leur disait :

— Mais c’est fou de vendre si cher.

— Eh ! criaient-ils, est-ce que vous croyez qu’on va se faire casser la… pour rien.

Ma mère revint du marché nous apportant trois carottes, quelques feuilles de choux qu’on n’aurait pas ramassées pour les lapins (j’ai jeté le paquet de choux il ne valait rien). Le tout 1 franc 50 centimes. Je préférais ne rien manger que d’acheter aux maraudeurs, ils me faisaient horreur. Le plus souvent c’étaient des gens sans aveu, sans dignité, qui pour un paquet de tabac, auraient vendu bêtement, inconsciemment leur pays. Le sucre, le café, le vin, le riz, toutes ces choses n’ont pas manqué, mais le sucre et le café étaient assez chers, le bon vin aussi très cher, le vin ordinaire, il n’en fallait pas parler ; seul le riz était assez bon marché, et il ne pouvait être frelaté. Chez nous, c’était à peu près la seule nourriture que nous mangions, nous la considérions comme la plus saine. Nous avons mangé du riz accommodé de toutes les façons ; en crêpe, c’était la meilleure et la plus agréable manière. Les enfants étaient si contents quand nous faisions des crêpes au riz ! Je m’en souviens encore. Fin