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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

cher petit, je suis allée supplier un des soldats de bien vouloir nous procurer du lait, et je lui remis 1 franc ; cet homme a refusé de faire la commission. Le pauvre père était fou de désespoir, il voyait son cher petit suffoqué par le besoin d’un aliment quelconque, le pauvre bébé avait sa petite langue desséchée, sa poitrine se soulevait péniblement, il râlait presque, et il se trouvait un homme du peuple, un simple soldat prussien qui refusait de procurer un peu de lait à un pauvre innocent, sans ordre, de son propre vouloir, cela après la signature de la capitulation. Voilà à quel point nos gouvernants arrivent à faire d’un homme une brute. Enfin nous continuâmes notre trajet jusqu’à Étampes, petite ville située à 60 kilomètres d’Orléans. À notre arrivée à cette place, on nous fit descendre de vagon ; nous pensions que nous serions un peu plus heureux, mais d’autres surprises désagréables nous étaient ménagées. On nous installa mal dans le buffet de la gare, ainsi que d’ordinaire, on nous enferma comme des prisonniers ; cependant on nous permit de nous procurer quelques aliments, du jambon à un prix assez élevé, du pain et du lait. Ils n’ont pas omis l’exploitation. J’ai acheté du lait et du pain, une personne avait une lampe à esprit de vin, j’ai fait bouillir ce lait, lorsqu’il fut tiède, je le mis dans le biberon du pauvre petit que je pris sur mes genoux, je le fis boire, sa pauvre tête était ballante ; cependant il but avec avidité, nous lui avions fait un lit sur deux caisses, et il s’endormit. Ce pauvre père me remercia, et me dit : « Si vous saviez comme j’aime mon petit »