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CINQUIÈME PARTIE

obus. Nous avions déjà bien des morts, soudain une décharge épouvantable vint nous assaillir, cette fois nous pensions que c’en était fait de nous. Nous allâmes voir au dehors, il y avait une terrible panique, dans la rue c’était un sauve qui peut, les balles atteignaient les soldats qui fuyaient, puis tout à coup, le calme se fit. À trois nous en profitâmes pour aller jusqu’à l’asile, voir nos blessés.

Il était alors minuit. Nous frappâmes à la porte de l’asile, on nous ouvrit avec assez de difficulté ; enfin nous entrâmes, dans une grande salle il y avait des lits sur lesquels nos blessés gisaient, plusieurs avaient déjà succombé, d’autres avaient des mouvements étranges, un autre avait reçu une balle entre les deux yeux, il n’avait pas repris connaissance, tout son corps était inerte, il avait la tête toute enveloppée de ouate, ses yeux seuls semblaient vivre, ils faisaient un mouvement continuel, c’était pénible à voir ; ils étaient tous horriblement blessés ; ceux qui avaient leur connaissance paraissaient heureux de nous voir, mais ils savaient qu’ils étaient perdus, malgré cela ils n’étaient pas tristes, ils acceptaient stoïquement la fin de leur existence, ils considéraient que c’était un sacrifice naturel, offert à la liberté. Nous étions vraiment plus tristes qu’eux. Lorsque nous les quittâmes, ils nous serrèrent la main bien affectueusement, je leur dis au revoir.

— Non, pas au-revoir, c’est adieu qu’il faut dire, il y a encore loin d’ici au lever du soleil. Alors nous aurons cessé de vivre, nous mourons avec confiance dans