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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

parmi un grand nombre de fusillés, j’ai vu une petite femme vêtue comme tu étais alors, visage méconnaissable, elle avait, comme toi une alliance au doigt. Certaine que c’était toi, je l’ai longtemps embrassée. J’étais presque heureuse de te savoir morte ; car si tu avais été prisonnière, tu aurais trop souffert.

Convaincue que c’était toi, j’ai fait constater ta mort. Puis se tournant vers Mme d’Arfeuille :

— N’est-ce pas, madame, que ma fille va rester ici avec moi ?

— Vous, vous pouvez rester ici autant qu’il vous plaira, mais madame ne peut y rester, il faut qu’elle parte tout de suite.

— Alors je pars avec toi et je ne te quitte plus, s’écria ma mère.

— Mais comment ferons-nous pour coucher ?

— Je coucherai n’importe où, mais je ne te quitterai pas.

Elle laissa tout et nous partîmes ensemble. Dans la rue je lui raconte que j’ai du travail, etc. que je couche dans l’atelier sur un lit provisoire, qu’elle ne peut être avec moi, ni coucher avec moi.

Nous allâmes ensemble rue de la Verrerie où ma mère coucha pendant une semaine.

À mon retour je racontai à M.  et Mme Noël que j’avais retrouvé ma mère et combien j’avais été heureuse de savoir que ni elle, ni mon mari n’étaient morts. M. Noël me demanda si ma mère pouvait nous aider, ne serait-ce qu’au ménage.

— Ma mère sait très bien travailler, mais elle n’est plus jeune (elle avait alors 63 ans).