Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/88

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à celle qu’ils avaient connue, manifestaient, pour l’avenir, de grandes appréhensions.

Je parcourus, avec quelques-uns de ces officiers, les champs de bataille d’Essling et de Wagram, l’île de Lobau, et les principales positions militaires qui tapissaient en quelque sorte les bords du Danube. Toutes les traces de la guerre y étaient encore vivantes et saignantes. Le beau village d’Essling, tant de fois pris et repris, se réparait lentement ; les pauvres habitants rentraient timidement dans leurs maisons en ruine. On voyait sur le champ de bataille de Wagram l’attaque du maréchal Macdonald, encore dessinée par les cadavres à demi ensevelis. On voyait toute la plaine qui borde le Danube couverte de moissons à demi incendiées par les obus, et les cadavres des blessés victimes de cet incendie épars et livrés au soleil, qui achevait de les griller ; c’était un spectacle douloureux, et que ne ranimaient plus, comme autrefois, la joie de la victoire, l’orgueil de la domination, l’esprit et l’entraînement de la conquête. L’aspect du pays, l’aspect même de la ville de Vienne, toute étincelante de casques et de cuirasses, était triste et morne ; les vainqueurs, dans la brutalité de leurs procédés, n’avaient pas l’air plus joyeux que les