Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/16

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parce que madame a la bonté de vous faire élever avec eux. Ils seront riches et vous ne le serez pas ; vous devez donc vous faire humble et essayer de leur être agréable.

— Ce que nous vous disons est pour votre bien, ajouta Bessie d’une voix moins dure. Vous devriez tâcher d’être utile et aimable, on vous garderait ici ; mais si vous devenez brutale et colère, madame vous renverra, soyez-en sûre.

— Et puis, continua Mlle Abbot, Dieu la punira. Il pourra la frapper de mort au milieu de ses fautes, et alors où ira-t-elle ? Venez, Bessie, laissons-la. Pour rien au monde je ne voudrais avoir un cœur semblable au sien. Dites vos prières, mademoiselle Eyre, lorsque vous serez seule : car, si vous ne vous repentez pas, Dieu pourra bien permettre à quelque méchant esprit de descendre par la cheminée pour vous enlever. »

Elles partirent en fermant la porte derrière elles.

La chambre rouge était une chambre de réserve où l’on couchait rarement. Je ne l’avais jamais vue habitée, excepté lorsqu’un grand nombre de visiteurs, en arrivant au château, obligeait à faire occuper toutes les pièces ; et pourtant c’était une des plus grandes et des plus belles chambres de la maison. Au milieu se trouvait un lit aux quatre coins duquel s’élevaient des piliers d’acajou massif d’où pendaient des rideaux d’un damas rouge foncé ; deux grandes fenêtres aux jalousies toujours fermées étaient à moitié cachées par des festons et des draperies semblables à celles du lit ; le tapis était rouge, la table placée au pied du lit recouverte d’une draperie cramoisie ; les murs tendus en couleur chamois et mouchetés de taches roses ; l’armoire, la toilette, les chaises étaient en vieil acajou bien poli. Au milieu de ce sombre ameublement s’élevait sur le lit et se détachait en blanc une pile de matelas et d’oreillers, le tout recouvert d’une courte-pointe de Marseille. À la tête du lit, on voyait un grand fauteuil également blanc, et au-dessous se trouvait un petit tabouret.

Cette chambre était froide, on y faisait rarement du feu ; éloignée de la cuisine et de la salle des domestiques, elle restait toujours silencieuse, et, comme on y entrait peu, elle avait quelque chose de solennel. La bonne y venait seule le samedi pour enlever la poussière amassée pendant toute une semaine sur les glaces et les meubles. Mme Reed elle-même la visitait à intervalles éloignés pour examiner certains tiroirs secrets de l’armoire, où étaient renfermés des papiers, sa cassette à bijoux et le portrait de son mari défunt.

Ces derniers mots renferment en eux le secret de la chambre