Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/223

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vous craignez, et montrez-lui comment il doit éviter le danger. »

Je vis sur ses lèvres un sourire sardonique ; il prit ma main, puis la rejeta vivement loin de lui.

« Si c’était possible, reprit-il, il n’y aurait aucun danger ; depuis que je connais Mason, je n’ai eu qu’à lui dire : « Faites cela, » et il l’a fait. Mais dans ce cas je ne puis lui donner aucun ordre ; je ne peux pas lui dire : « Gardez-vous de me faire du mal, Richard ! » car il ne doit pas savoir qu’il est possible de me faire du mal. Vous avez l’air intriguée ; eh bien, je vais vous intriguer encore davantage. Vous êtes ma petite amie, n’est-ce pas ?

— Monsieur, je désire vous être utile et vous obéir dans tout ce qui est bien.

— Précisément, et je m’en suis aperçu ; j’ai remarqué une expression de joie dans votre visage, dans vos yeux et dans votre tenue, lorsque vous pouviez m’aider, me faire plaisir, travailler pour moi et avec moi : mais, comme vous venez de le dire, vous ne voulez faire que ce qui est bien. Si, au contraire, je vous ordonnais quelque chose de mal, il ne faudrait plus compter sur vos pieds agiles et vos mains adroites ; je ne verrais plus vos yeux briller et votre teint s’animer ; vous vous tourneriez vers moi, calme et pâle, et vous me diriez : « Non, monsieur, cela est impossible, je ne puis pas le faire, parce que cela est mal ; » et vous resteriez aussi ferme que les étoiles fixes. Vous aussi vous avez le pouvoir de me faire du mal ; mais je ne vous montrerai pas l’endroit vulnérable, de crainte que vous ne me perciez aussitôt, malgré votre cœur fidèle et aimant.

— Si vous n’avez pas plus à craindre de M. Mason que de moi, monsieur, vous êtes en sûreté.

— Dieu le veuille ! Jane, voici une grotte ; venez vous asseoir. »

La grotte était creusée dans le mur et toute garnie de lierre ; il s’y trouvait un banc rustique. M. Rochester s’y assit, laissant néanmoins assez de place pour moi ; mais je me tins debout devant lui.

« Asseyez-vous, me dit-il ; le banc est assez long pour nous deux. Je pense que vous n’hésitez pas à prendre place à mes côtés ; cela serait-il mal ? »

Je répondis en m’asseyant, car je voyais que j’aurais tort de refuser plus longtemps.

« Ma petite amie, continua M. Rochester, voyez, le soleil boit la rosée, les fleurs du jardin s’éveillent et s’épanouissent, les oiseaux vont chercher la nourriture de leurs petits, et les