Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/68

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— Je crois pouvoir expliquer ceci, monsieur. Agnès et Catherine Johnstone avaient été invitées à prendre le thé avec quelques amies à Lowton, et je leur ai permis, pour cette occasion, de mettre des collerettes blanches.

M. Brockelhurst secoua la tête.

« Eh bien ! pour une fois, cela passera ; mais que de semblables faits ne se renouvellent pas trop souvent. Il y a encore une chose qui m’a surpris. En réglant avec la femme de charge, j’ai vu qu’un goûter de pain et de fromage avait été deux fois servi à ces enfants pendant la dernière quinzaine ; d’où cela vient-il ? J’ai regardé sur le règlement, et je n’ai pas vu que le goûter y fût indiqué. Qui a introduit cette innovation, et de quel droit ?

— Je suis responsable de ceci, monsieur, reprit Mlle Temple ; le déjeuner était si mal préparé que les élèves n’ont pas pu le manger, et je n’ai pas voulu leur permettre de rester à jeun jusqu’à l’heure du dîner.

— Un instant, madame ! Vous savez qu’en élevant ces jeunes filles, mon but n’est pas de les habituer au luxe, mais de les rendre patientes et dures à la souffrance, de leur apprendre à se refuser tout à elles-mêmes. S’il leur arrive par hasard un petit accident, tel qu’un repas gâté, on ne doit pas rendre cette leçon inutile en remplaçant un bien-être perdu par un autre plus grand ; pour choyer le corps, vous oubliez le but de cette institution. De tels événements devraient être une cause d’édification pour les élèves ; ce serait là le moment de leur prêcher la force d’âme dans les privations de la vie ; un petit discours serait bon dans de semblables occasions ; là, un maître sage trouverait moyen de rappeler les souffrances des premiers chrétiens, les tourments des martyrs, les exhortations de notre divin Maître lui-même, qui ordonnait à ses disciples de prendre leur croix et de le suivre. On pourrait leur répéter ces mots du Christ : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu ». Puis aussi cette consolante sentence : « Heureux ceux qui souffrent la faim et la soif pour l’amour de moi ! » Ô madame ! vous mettez dans la bouche de ces enfants du pain et du fromage au lieu d’une soupe brûlée ; je vous le dis, en vérité, vous nourrissez ainsi leur vile enveloppe, mais vous tuez leur âme immortelle. »

M. Brockelhurst s’arrêta de nouveau, comme s’il eût été suffoqué par ses pensées. Mlle Temple avait baissé les yeux lorsqu’il avait commencé à parler, mais alors elle regardait droit devant elle, et sa figure naturellement pâle comme le marbre en