Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/75

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ments amis sont cachés dans leurs cœurs et paraîtront bientôt, d’autant qu’ils auront été comprimés pendant quelque temps. Et d’ailleurs, Jane… »

Elle s’arrêta.

« Eh bien, Hélène ? » dis-je en mettant mes mains dans les siennes.

Elle prit doucement mes doigts pour les réchauffer et continua : « Si le monde entier vous haïssait et vous croyait coupable, mais que votre conscience vous approuvât, et qu’en interrogeant votre cœur il vous parût pur de toute faute, Jeanne, vous ne seriez pas sans amie.

— Je le sais, mais ce n’est point assez pour moi. Si les autres ne m’aiment pas, je préfère mourir plutôt que de vivre ainsi ; je ne puis pas accepter d’être seule et détestée. Hélène, voyez, pour obtenir une véritable affection de vous, de Mlle Temple et de tous ceux que j’aime sincèrement, je consentirais à avoir le bras brisé, à être roulée à terre par un taureau, ou à me tenir debout derrière un cheval furieux qui m’enverrait son sabot dans la poitrine.

— Silence, Jane ! Vous placez trop haut l’amour des hommes ; vous êtes trop impressionnable, trop ardente. La main souveraine qui a créé votre corps et y a envoyé le souffle de vie, a placé pour vous des ressources en dehors de vous-même et des créatures faibles comme vous. Au delà de cette terre il y a un royaume invisible ; au-dessus de ce monde, habité par les hommes, il y en a un habité par les esprits, et ce monde rayonne autour de nous, il est partout ; et ces esprits veillent sur nous, car ils ont mission de nous garder ; et si nous mourons dans la souffrance et dans la honte, si nous avons été accablés par le mépris, abattus par la haine, les anges voient notre torture et nous reconnaissent innocents, si toutefois nous le sommes ; et je sais que vous êtes innocente de ces fautes dont M. Brockelhurst vous a lâchement accusée, d’après ce qui lui avait été dit par Mme Reed ; car j’ai reconnu une nature sincère dans vos yeux ardents et sur votre front pur. Dieu, qui attend la séparation de notre chair et de notre esprit, nous couronnera après la mort ; il nous accordera une pleine récompense. Pourquoi nous laisserions-nous abattre par le malheur, puisque la vie est si courte, et que la mort est le commencement certain de la gloire et du bonheur ? »

J’étais silencieuse, Hélène m’avait calmée ; mais dans cette tranquillité qu’elle m’avait communiquée, il y avait un mélange d’inexprimable tristesse ; j’éprouvais une impression doulou-