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conduire ; il me répondit trente schellings. Je lui dis que je n’en avais que vingt ; il reprit qu’il tâcherait de s’en contenter. Comme la voiture était vide, il me permit d’entrer dans l’intérieur ; la portière fut fermée et nous nous mîmes en route.

Vous tous qui lirez ce livre, puissiez-vous ne jamais éprouver ce que j’ai éprouvé ! Puissent vos yeux ne jamais verser un torrent de larmes aussi amères et aussi déchirantes que les miennes ! Puissent vos prières ne jamais s’élever aussi douloureuses et aussi désespérées vers le ciel ! Puissiez-vous ne jamais craindre de devenir l’instrument du mal entre les mains de celui que vous aimez plus que tout !




CHAPITRE XXVIII.


Deux jours sont passés. C’est un soir d’été ; le cocher m’a descendue dans un endroit appelé Whitcross ; il ne pouvait pas me conduire plus loin pour la somme que je lui avais donnée, et je ne possédais plus un schelling dans le monde ; je suis seule, la voiture est déjà éloignée d’un mille. À ce moment, je m’aperçois que j’ai oublié mon petit paquet dans la poche de la voiture où je l’avais placé pour plus de sûreté ; il faut maintenant qu’il y reste, et moi je n’ai plus aucune ressource.

Whitcross n’est pas une ville ni même un hameau ; c’est un pilier de pierre placé à la réunion de quatre routes ; il est peint en blanc, probablement pour qu’on puisse le voir de loin dans l’obscurité. Au sommet de ce pilier on aperçoit quatre bras qui indiquent à quelle distance on est des différentes villes ; d’après les indications, la ville la plus proche était distante de dix milles, et la plus éloignée, de vingt. Les noms bien connus de ces villes m’apprirent dans quel pays j’étais : c’était un des comtés du centre, couvert de marécages et entouré de montagnes ; à droite et à gauche on apercevait de grands marais ; une série de montagnes s’étendaient bien loin au delà de la vallée que j’avais à mes pieds. La population ne devait pas être nombreuse. Je n’apercevais personne sur les routes qui se déroulaient aux quatre points cardinaux, larges, blanches et solitaires ; elles avaient toutes été tracées au milieu même des marais, et la bruyère poussait épaisse et sauvage jusque sur le bord. Cependant le hasard pouvait amener un voyageur par là, et je désirais ne point