Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/111

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le long de la colline ; un peu plus loin, j’aperçus deux vaches et leur gardien. J’étais près du travail et de la vie : il fallait lutter encore, m’efforcer de vivre et me plier à la fatigue comme tant d’autres.

J’arrivai dans le village vers deux heures. Au bout de la seule rue du hameau, j’aperçus des pains à travers la fenêtre d’une petite boutique ; j’en aurais voulu un. « Ce léger soutien me rendra un peu d’énergie, me dis-je ; sans cela il me sera bien difficile de continuer. » Le désir de retrouver la force me revint dès que je me vis au milieu de mes semblables ; je sentais que je serais bien humiliée s’il me fallait m’évanouir de faim dans la rue d’un hameau. N’avais-je rien sur moi que je pusse offrir en échange de ce pain ? Je cherchai. J’avais un petit fichu de soie autour de mon cou ; j’avais mes gants. Je ne savais pas comment on devait s’y prendre quand on était réduit à la dernière extrémité ; je ne savais pas si l’une de ces deux choses serait acceptée ; il était probable que non ; en tous cas, il fallait essayer.

J’entrai dans la boutique ; elle était tenue par une femme. Voyant une personne qui lui semblait habillée comme une dame, elle s’avança vers moi avec politesse et me demanda ce qu’il y avait pour mon service. Je fus prise de honte ; ma langue se refusa à prononcer la phrase que j’avais préparée ; je n’osai pas lui offrir les gants à demi usés ni le fichu chiffonné ; d’ailleurs je sentais que ce serait absurde. Je la priai seulement de me laisser m’asseoir un instant, parce que j’étais fatiguée. Trompée dans son attente, elle m’accorda froidement ce que je lui demandais ; elle m’indiqua un siège, j’y tombai aussitôt. J’avais envie de pleurer ; mais, comprenant combien le moment était peu favorable pour me laisser aller à mon émotion, je me contins. Je lui demandai bientôt s’il y avait dans le village des tailleuses ou des couturières en linge.

« Oui, me répondit-elle, trois ou quatre ; bien assez pour ce qu’il y a d’ouvrage. »

Je réfléchis. J’étais arrivée au moment terrible ; je me trouvais face à face avec la nécessité ; j’étais dans la position de toute personne sans ressource, sans amis, sans argent. Il fallait faire quelque chose ; mais quoi ? Il fallait m’adresser quelque part ; mais où ?

Je demandai à la boulangère si elle connaissait, dans le voisinage, quelqu’un qui eût besoin d’une domestique.

Elle me répondit qu’elle n’en savait rien.

« Quelle est la principale occupation dans ce pays ? repris-je, que fait-on en général ?