Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/180

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dans la chambre à coucher et dans la pièce où on se tenait ordinairement, parce que je savais que Diana et Marie trouveraient plus de plaisir à revoir les tables, les chaises et les lits de leur vieille maison, qu’à regarder un ameublement neuf, quelque élégant qu’il fût ; cependant quelques changements étaient nécessaires pour donner un peu de piquant à leur retour, ainsi que je le désirais. J’achetai donc de jolis tapis et des rideaux de couleur foncée, quelques ornements antiques en porcelaine ou en bronze, soigneusement choisis, des miroirs et des nécessaires de toilette : tout cela, sans être très beau, était très frais. Il restait encore le parloir et une chambre de réserve ; j’y mis des meubles de vieil acajou, recouverts en velours rouge ; des toiles furent tendues dans les corridors et des tapis dans les escaliers. Quand tout fut fini, il me sembla qu’à l’intérieur Moor-House était un véritable modèle de confort modeste, tandis qu’à l’extérieur, surtout à cette époque de l’année, on eût dit un grand bâtiment vaste, froid et désert.

Le jour tant désiré vint enfin ; elles devaient arriver le soir, et longtemps d’avance les feux furent allumés en haut et en bas, la cuisine se faisait. Anna et moi nous étions habillées ; tout était prêt.

Saint-John arriva le premier. Je l’avais prié de ne pas venir tant que tout ne serait pas en ordre ; du reste, la seule idée du travail mesquin et trivial qui se faisait à Moor-House l’aurait éloigné. Il me trouva dans la cuisine, surveillant des gâteaux que j’avais fait cuire pour le thé. S’approchant du foyer, il me demanda si j’étais enfin fatiguée de mon métier de servante ; je lui répondis en l’invitant à m’accompagner pour visiter le résultat de mes travaux. Après quelques difficultés, je le décidai à faire le tour de la maison. Il se contenta de jeter un coup d’œil sur les chambres que je lui montrais et n’y entra même pas ; puis il me dit que j’avais dû avoir beaucoup de peine et de fatigue pour effectuer un si grand changement en si peu de temps, mais pas une seule fois il n’exprima de satisfaction de voir sa maison bien arrangée.

Ce silence me glaça ; je pensai que mes changements avaient peut-être détruit quelque vieil arrangement auquel il tenait ; je le lui demandai, et probablement d’un ton un peu découragé.

« Pas le moins du monde, me répondit-il ; au contraire, j’ai remarqué que vous avez scrupuleusement respecté l’ancienne organisation ; mais je crains que vous ne vous soyez occupée de ces choses plus qu’il ne l’aurait fallu. Par exemple, combien de temps avez-vous consacré à cette chambre ? »