Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/223

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Il avança rapidement la main ; mais, ne me voyant pas, il ne put pas me toucher.

« Qui est-ce ? qui est-ce ? » demanda-t-il en s’efforçant de voir. Effort vain et douloureux ! « Répondez-moi, parlez-moi encore ! s’écria-t-il d’un ton haut et impérieux.

— Voulez-vous encore un peu d’eau, monsieur ? dis-je ; car j’en ai répandu la moitié.

— Qui est-ce ? qui est-ce qui parle ?

— Pilote m’a reconnue, répondis-je. John et Marie savent que je suis ici. Je suis arrivée ce soir.

— Grand Dieu ! quel prestige, quelle douce folie s’empare de moi ?

— Il n’y a ni prestige ni folie. Votre esprit, monsieur, est trop fort pour se laisser aller au prestige, votre santé trop vigoureuse pour craindre la folie.

— Où est celle qui parle ? Mais non, ce n’est qu’une voix ! Oh ! je ne puis pas la voir ! mais il faut que je la sente, ou mon cœur cessera de battre, et ma tête se brisera. Qui que vous soyez, laissez-moi vous toucher, ou je mourrai ! »

Il se mit à tâtonner. J’arrêtai sa main errante et je l’emprisonnai dans les deux miennes.

« Ce sont bien ses doigts ! s’écria-t-il ; ses petits doigts délicats ! Alors elle est ici tout entière. »

Sa main vigoureuse s’échappa des miennes ; il saisit mon bras, mon épaule, mon cou, ma taille ; bientôt je me sentis enlacée par lui.

« Est-ce Jane ? est-ce bien elle ? Voilà ses formes, sa taille.

— Et c’est sa voix, ajoutai-je. C’est elle tout entière, c’est toujours son même cœur pour vous. Dieu vous bénisse, monsieur ! je suis heureuse d’être près de vous.

— Jane Eyre ! Jane Eyre ! fut tout ce qu’il put dire.

— Oui, mon cher maître, répondis-je ; je suis Jane Eyre. Je vous ai retrouvé et je reviens vers vous.

— Est-ce bien vous en chair et en os ? Êtes-vous bien ma Jane vivante ?

— Vous me touchez, monsieur, et vous me tenez assez ferme. Je ne suis pas froide comme un cadavre, et je ne m’échappe pas comme un esprit.

— Ma bien-aimée vivante ! Ce sont certainement ses membres, ses traits ; mais je ne puis pas être si heureux après toutes mes souffrances. C’est un rêve. Souvent la nuit j’ai rêvé que je la tenais pressée contre mon cœur, comme maintenant, et je l’embrassais, et je sentais qu’elle m’aimait et qu’elle ne me quitterait pas.