Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/230

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« Déserteur cruel ! s’écria-t-il. Oh ! Jane, vous ne pouvez pas vous figurer ce que j’ai éprouvé lorsque je me suis aperçu que vous aviez fui Thornfield, et que je ne pouvais vous trouver nulle part ; et lorsque après avoir examiné votre chambre, je vis que vous n’aviez pris ni argent ni objets qui pussent vous en tenir lieu. Vous aviez laissé le collier de perles que je vous avais donné, et votre malle était encore là, telle que vous l’aviez préparée pour votre voyage. Que fera ma bien-aimée, me demandais-je, maintenant qu’elle est pauvre et abandonnée ? Qu’avez-vous fait, Jane ? dites-moi. »

Je commençai alors le récit de tout ce qui s’était passé pendant cette année, adoucissant beaucoup ce qui avait rapport aux trois jours où j’avais erré mourante de faim : c’eût été lui imposer une souffrance inutile. Le peu que je racontai lui fit une peine plus grande que je n’aurais voulu.

Il me dit que je n’aurais pas dû le quitter ainsi, sans m’assurer quelques ressources pour mon voyage. J’aurais dû lui faire part de mon intention, me confier à lui ; il ne m’aurait jamais forcée à être sa maîtresse. Quelque violent qu’il parût dans son désespoir, il m’aimait trop bien et trop tendrement pour agir en tyran. Il m’aurait donné la moitié de sa fortune sans me demander un baiser en retour, plutôt que de me voir lancée sans amis dans le monde. Il était persuadé, ajoutait-il, que j’avais souffert plus que je ne voulais le dire.

« Eh bien ! répondis-je, quelles qu’aient été mes souffrances, elles n’ont pas duré longtemps. »

Alors je me mis à lui raconter comment j’avais été reçue à Moor-House, et comment j’avais obtenu une place de maîtresse d’école ; puis je lui parlai de mon héritage, et de la manière dont j’avais découvert mes parents. Le nom de Saint-John revint fréquemment dans mon récit. Aussi, quand j’eus achevé, ce nom devint immédiatement le sujet de la conversation de M. Rochester.

« Alors ce Saint-John est votre cousin ? me dit-il.

— Oui.

— Vous en avez parlé souvent ; l’aimiez-vous ?

— Il était très bon, monsieur ; je ne pouvais pas ne pas l’aimer.

— Bon, cela signifie-t-il un homme de cinquante ans, respectable et se conduisant bien ? Que voulez-vous dire ? expliquez-vous.

— Saint-John n’a que vingt-neuf ans, monsieur.

— Il est jeune encore, comme diraient les Français. Est-ce un